PRO CAUSA DE BEATIFICAÇÃO - PRO CAUSE DE BÉATIFICATION

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Jeûne perpétuel

Depuis le jour où les extases de la Passion cessèrent, Alexandrina cessa aussi de manger et de boire : elle commença alors un jeûne total qui durera un peu plus de treize ans.

Au début, personne ne s’en étonnait, parce qu’elle avait déjà supporté des jeûnes de cinq à dix-sept jours, mais cette fois-ci, ce furent des jours, des semaines, des mois, des années qui défilèrent…

Le 2 février 1943, son médecin traitant, le Dr Manuel Augusto Dias de Azevedo nous entretenait sur ce fait :

« Elle est l’ange de toujours, accomplissant, fidèlement la mission que Dieu lui assigna pour notre bien.

Son alimentation, depuis le 27 mars 1942 – fête de Notre Dame des Douleurs – jusqu’à fin mai de la même année consiste à boire, en milieu de matinée et vers le milieu de l’après-midi, quelques cuillerées d’eau salée avec un mince filet d’huile. Certains jours elle ne prends absolument rien.

De juin 1942 à ce jour (c’est-à-dire depuis neuf mois), elle ne peut avaler (cela l’afflige et la fait vomir), que sa propre salive, la Sainte Hostie et quelques goûtes d’eau pure.

A ceci, si nous volons être logiques – continue le médecin – et conscients, nous devons appeler, tout en respectant la décision de l’Église, un miracle de Dieu ».

Quelques mois après, le même médecin écrivait :

« Monseigneur l’Archevêque Primat de Braga me proposa d’inviter à Balasar quelques médecins, à fin de, face à la médecine, soit déclaré ce que l’on doit penser au sujet de notre très chère Alexandrina… »

J’ai invité un médecin catholique de Porto – écrit encore le docteur, le 13 mai 1943. J’ai invité le docteur Gomes de Araujo, spécialiste des maladies nerveuses, l’informant que la malade ne s’alimentait pas ; il accepta l’invitation. J’ai également invité un spécialiste des maladies de la nutrition – un agnostique – lequel s’émerveilla quand je lui ai dit que la malade ne s’alimentait pas. “Mais si cela est vrai, nous avons un authentique miracle ! Dommage qu’elle ne puisse pas être internée à Porto ; cela serait pour nous une révélation !” – a-t-il ajouté… Lundi j’ai rencontré le Prélat : il veut les examens médicaux… »

Les docteurs Gomes de Araujo, Carlos Lima, de la Faculté de Médecine de Porto, ainsi que le Dr Manuel Augusto de Azevedo se sont en effet rendus à Balasar, mais ils leur sembla préférable qu’elle soit internée, car « ils ne faisaient pas tout à fait confiance à l’entourage familial ».

Toutes les difficultés dues à l’état délicat de la malade ayant été aplanies, ils sont parvenus à l’interner au Refuge de Paralysie Enfantine à Foz do Douro, afin qu’elle soit examinée sur son abstinence alimentaire, par le Dr Gomes de Araújo.

L’examen se prolongea pendant quarante jours et quarante nuits, avec toute la rigueur scientifique, comme il ressort du Rapport présenté sous le titre de : « Un cas notable d’abstinence et anurie, par H. Gomes de Araújo, de la Royale Académie de Médecine de Madrid, Directeur du Refuge de Paralysie Enfantine, spécialisé en maladies nerveuses et arthritiques ».

On y lit ces paroles décisives :

« Il est incontestable que la Malade, pendant les quarante jours de son internat, n’a pas mangé, ni bu, ni uriné, ni déféqué, et cette circonstance nous poussent à croire que de tels phénomènes puissent s’être produits antérieurement, selon ce qui nous est affirmé. Nous ne pouvons pas en douter. Les treize mois, comme il nous a été dit ? Nous ne le savons pas ».

Il termine lumineusement son rapport en affirmant qu’il existe, dans ce cas étrange, de tels détails « que par son importance fondamentale d’ordre biologique, tels que la durée de l’abstinence de liquides et l’anurie, nous laissent perplexes, en attendant qu’une explication nous en donne la clarté nécessaire ».

Pour ne pas surchargé le texte, nous avons choisi de ne pas copier ici tout le texte du Rapport, d’où sont tirés ces extraits ; mais nous copions encore quelques bribes du certificat final signé par les deux médecins, le Dr Carlos Alberto de Lima et le docteur Manuel Augusto de Azevedo :

« Nous, soussignés, Docteur Carlos Alberto de Lima, professeur agréé de la Faculté de Médecine de Porto et Manuel Augusto Dias de Azevedo, docteur en Médecine de la même Faculté, certifions que, ayant examiné Alexandrina Maria da Costa, âgée de 38 ans, native et domiciliée en la paroisse de Balasar, arrondissement de Póvoa de Varzim, nous avons vérifier qu’elle était porteuse d’une affection ou compression médullaire, cause de sa paraplégie.  Nous certifions pareillement, qu’étant internée du 10 juin au 20 juillet courant, dans le Refuge de la Paralysie Infantile de Foz do Douro, sous la direction du Docteur Gomes de Araújo et surveillée jour et nuit par des personnes dignes de foi et désireuses de chercher la vérité, il a été constaté que son abstinence de solides et de liquides fut absolue, pendant son internement.

Son poids, sa température, sa respiration, sa tension, son pouls, son sang et ses facultés mentales restant sensiblement normaux, constants et lucides. En outre, pendant ces quarante jours, nous n’avons constaté aucune défécation ni la moindre excrétion d’urine.

L’examen du sang, prélevé trois semaines après l’internement mentionné ci-dessus, accompagne le présent certificat. On peut y voir que, considérée ladite abstinence de solides et de liquides, la Science ne peut explique naturellement ce qui est attesté en cet examen, de la même manière que, considérées les vérités de la Physiologie et de la Biochimie, il n’est pas possible non plus d’expliquer la survie de cette patiente, après cette abstinence absolue pendant les quarante jours de son internement.

Il est encore bon de faire remarquer qu’elle a dut répondre, quotidiennement, à plusieurs questions et qu’elle a soutenu de nombreuses conversations, manifestant toujours une bonne disposition et une très grande lucidité d’esprit.

Quant aux phénomènes observés les vendredis [1], vers 17 heures, nous pensons que c’est à la mystique de se prononcer.

Et, parce que cela est vrai, nous avons délivré le présent certificat, et le signons.

Porto, le 26 juillet 1943

Carlos Alberto de Lima

Manuel Augusto Dias de Azevedo ».

En marge de ce Rapport, Il est intéressant de lire dans les notes autobiographiques, ce que la Malade elle-même a écrit sur cet épisode. Elle y raconte, avec un surprenant réalisme, tous les détails de cet épisode, que l’on croirait lire un roman. On y voit, clairement, combien de souffrances sont venues peser sur la déjà bien lourde croix d’Alexandrina, qui ne s’est soumise à cette épreuve que pour obéir au Prélat de son Diocèse, qui l’avait exigée.

L’abstinence totale de liquides et de solides était ainsi prouvée scientifiquement. Nous savons aujourd’hui que cette abstinence dura plus de treize ans. Nous devons l’assimiler aux jeûnes des grands mystiques connus dans l’Hagiographie, tels que la bienheureuse Angèle de Foligno qui est restée douze ans sans aucun aliment ; sainte Catherine de Sienne, huit ans ; saint Lidwine de Schiedam, vingt-huit ans, etc. [2]

Les journaux ayant fait état de ce cas si étrange, de nombreux curieux ― 1500 environ ― ont voulu voir la malade, avant son retour à Balasar.

« Quelle impression ― écrit-elle dans son Journal ― que ce mouvement de foule ! Ni les suppliques de ma sœur ni les policiers n’ont réussi à le contenir.

Le docteur Araujo lui-même, depuis la fenêtre, a dû intervenir pour que l’on arrête un tel mouvement sinon on allait me tuer. Moi, en effet, je me sentais humiliée, las et exténuée, ayant un sentiment de gêne pour les baisers que je recevais et les larmes que l’on laissait tomber sur mon visage, comme signe d’une estime que je ne mérite pas et que je ne veux pas ».

Outre les médecins déjà nommés, d’autres encore, ayant lu le Rapport médical, attestaient que le cas n’avait pas d’explication naturelle.

Le 3 novembre 1954, le Docteur Ruy João Marques, professeur de la Faculté des Sciences Médicales,  de l’Université de Recife (Brésil), spécialiste nutritionniste, déclara :

« A mon avis…, il n’est pas possible d’expliquer par des moyens purement scientifiques (c’est-à-dire, par des moyens médicaux), ce qui se passe en Alexandrina Maria da Costa.

D’après les minutieux rapports des médecins, rien ne peut nous faire croire qu’il s’agisse d’un cas d’hystérie, surtout si l’on tient compte du temps assez long pendant lequel la patiente a été observée, temps pendant lequel elle n’a rien mangé ni bu.

Je suis en outre certain qu’il ne s’agit pas de mystification, car la commission de surveillance ― que l’on ne peut aucunement suspecter, car sérieuse et compétente qui l’observa, pendant quarante jours et quarante nuits, dans la Maison de Santé “Refuge de la Paralysie Infantile”, a put constater, de fait, son abstinence totale de tout aliment.

Or, cette absence absolue de consommation de substances nutritives, pendant un long espace de temps, environ 14 ans, si je ne me trompe, n’est pas compatible avec la vie et moins encore avec la permanente régularité de température, respiration, pouls, tension artérielle, etc, etc.

De même, les fonctions psychiques devaient, tôt ou tard, être altérées, mais c’est exactement le contraire que l’on peut vérifier : sa vie intellectuelle  est intense, ses relations affectives sont parfaites, ses facultés et ses sens absolument conservés.

Il s’agit donc d’un cas extraordinaire, exceptionnel, dirais-je et aucunement explicable par des moyens purement naturels ou même de données scientifiques.

Quant au progrès de la myélite, très probablement existante et responsable de sa paralysie, elle n’a rien à voir avec son abstinence alimentaire, n’étant qu’une maladie parallèle.

Dr Ruy João Marques ».

Aucun doute : ce point a été brillamment démontré, du vivant même d’Alexandrina., ce qui ne veut pas dire pour autant que toute opposition ― latente ça et là, sur le cas de Balasar ait cessé ; bien au contraire, il semblait plutôt qu’elle s’était accrue. Cela servit, en tous cas, à mettre en relief la vertu – jamais démentie de la « Malade ».

Le 20 mars 1946, elle écrivait :

« Jésus sait bien que, s’Il me manque, tout me manque. Lui seul connaît l’abandon dans lequel je me trouve. Personne d’autre que Lui peut voir le mépris des hommes envers moi. J » suis là, comme si j’étais la plus grande criminelle du monde ; et, en vérité je sens et je vois que je le suis. Pour cela même, je devrais mériter un peu plus de compassion. N’est-il pas vrai que l’amour et la compassion de Jésus s’étendaient et s’étendent davantage sur les plus grands pécheurs ? »

Trois mois plus tard, le 18 juin 1946 :

« … Combien je me sens abandonnée ! J’ai besoin de quelqu’un pour me guider. Ma vie s’en va comme le soleil à la nuit tombante. Ceci pour ce qui est de la vie du corps, pour celle de l’âme, cela fait bien longtemps que je sens ne plus l’avoir…

… je n’ai plus de joie sur la terre que dans la volonté de Dieu et dans la souffrance ; en dehors de cela, plus rien ne me procure de la joie. Tout est mort et douleur pour moi. Mon cœur porte une blessure si profonde, que jamais, en cette vie, elle ne pourra cicatriser… Je souris à tous, mais mon sourire est un sourire trompeur : il cache les grandes angoisses de mon âme. Mais il est un sourire différent de celui que j’ai sur mes lèvres, et je le possède constamment : c’est un sourire vers le dedans, un sourire intérieur ; il est doux, tendre ; c’est un sourire qui baise et embrasse la volonté du Seigneur ; un sourire qui accepte la croix avec toute sa douleur, pour ne plus jamais la quitter : c’est Jésus qui me l’offre. Ce sourire est réel, il n’est pas trompeur ; c’est le sourire vers la croix et vers la volonté de Celui qui me l’a envoyée ».

Phrase symptomatique et discrète celle que nous trouvons dans une lettre du 21 novembre 1946 :

« Je me sens si humiliée, me voyant accompagnée ! Malgré une aussi grande lutte et beaucoup d’ennemis, j’ai beaucoup, beaucoup de personnes amies, de toutes classes et conditions, amitiés que je ne méritais pas… Je souffre beaucoup, certes, mais notre bien-aimé Jésus est si bon, si bon envers moi : Il me procure tant de courage et me donne un si grand amour à la croix… »

« Ma vie est remplie d’humiliations et contradictions écrit-elle le 13 décembre 1947. Cependant, le nombre de mes amis ne diminue pas, bien au contraire, il s’accroît de plus en plus ; et plus il augmente, plus je me sens seule. Il fallait qu’il en soit ainsi. Combien de fois je dis à Jésus : dépouillez-moi de tout, videz-moi de toute chose, afin que vous me remplissiez de Vous-même. Vous, Vous seul, toujours Vous, éternellement Vous. Je souffrais seule, cela me coûterait moins ; ce qui me coûte le plus c’est de voir que ceux qui m’entourent souffrent également. Mais mon cheminement continue : jour et nuit j’implore le secours du Ciel, embrassant mon crucifix et la chère Petite-Maman, en attendant toujours des jours meilleurs et enfin le Ciel ».

Plus encore que les contradictions et humiliations, plus encore que les jeûnes corporels, Alexandrina était torturée par les jeûnes spirituels, par les ténèbres de l’âme, la terrible nuit obscure, que Dieu lui a réservé pour cette dernière période de son existence, bien plus terrible qu’à aucune autre période de sa vie.

Nous ne disposons de pas d’assez de place pour une étude approfondie de cette période. Quelques passages tirés de ses lettres nous donnerons une idée — même si fort pâle — de ce dépouillement total.

Le 26 mai 1947 :

« … humainement parlant, il n’existe pour moi aucun moment de joie. Ma joie est de faire la volonté du Seigneur, souffrir pour Jésus et pour les âmes. Je souffre beaucoup, mais rien n’est à moi. Toutes mes souffrances, toutes les grâces dont Notre Seigneur m’a favorisée, meurent en moi, avant même leur naissance ; c’est comme une lumière qui s’éteint avant même de paraître. Je veux aimer, mais je n’ai pas et je n’en connais pas en moi d’amour. Je veux souffrir, mais ce n’est pas moi qui souffre, cette douleur ne m’appartient pas. C’est ainsi que je vis, les mains vides sans rien posséder ni rien voir en moi que les plus grandes et nauséabondes misères du monde. C’est ce que me montre et me laisse voir le terrible aveuglement de mon esprit, cet aveuglement que je crains et que j’aime. Je ne sais pas pourquoi, je me sens obligée moi-même à y plonger ; je veux l’embrasser et, c’est elle qui me montre ce que je suis : misère et rien d’autre ».

Le 28 juillet 1947 :

« Je me sens mourir doucement, je sens que je n’en peux plus. Je voudrais mourir d’amour, d’amour pour Jésus. Je veux l’aimer, mais je ne sais pas ; je veux être parfaite , mais je ne vois en moi aucune perfection. Que de mortelles ténèbres ! Mais si vous saviez le désir que j’ai d’aimer ces ténèbres ! Je les ai enlacées avec la croix, je les ai enlacée avec Jésus, et cet enlacement sera pour toujours. Je vois dans la croix, amour et douleur ; amour et douleur sans fin. C’est cet amour, c’est cette douleur que je veux ; c’est cette croix que j’ai enlacée pour mon Jésus et pour les âmes.

Le 18 février 1948 :

« Je continue dans les ténèbres, de terribles ténèbres ! Je continue de vouloir me transformer en amour, cet pur et parfait, plein d’intensité que l’on peut donner à Jésus, mais je ne l’ai point ! Il me semble et je veux faire plaisir et du bien à tous, mais je n’en fais rien. Je ne vis pas, je ne souffre pas, je n’aime pas, je ne suis rien ! Je suis un rien qui vit d’inquiétudes ; je suis un rien qui a tant d’amis et qui, voyant augmenter leur nombre, se sent seul, si seul, sans personne, plongé dans des souffrances inépuisables ».

Et les ténèbres augmentent, comme on peut le lira dans une lettre du 2 juin 1948 :

« Tout ce que je souffre, tout ce que je fais, disparaît, meurt sans connaître la vie. C’est ce que ressent mon âme. C’est douloureux de sentir s’approcher l’éternité et ne rien avoir, de se sentir complètement dépouillée ! Ma vie est une vie sans vie, est un monde sans lumière ! Plus grande est l’obscurité, plus Jésus s’éloigne de moi et plus en moi s’éteignent Ses choses, Sa vie divine. Même, permettez-moi cette confidence, : je ne l’ai jamais connu, je ne l’ai jamais aimé, je n’ai jamais su ce que c’était la vie de Dieu dans les âmes. C’est ce que je ressens. Plus j’aspire à vivre une vie intérieure, la vie de Dieu en nous, moins je la vis, moins je la connais, moins je la comprends. Mon Dieu, ô mon Dieu, quelle ignorante que je suis ! Mais, malgré cela, mon âme reste en paix. C’est une grande grâce de Jésus. J’ai même déjà dis : j’ai la paix, la paix de mon âme, à moins que je ne comprenne pas ce que c’est que la paix de Dieu. Mais je crois que Notre Seigneur ne permettra pas que ma paix soit la paix du démon, car celle-là ne doit pas procurer de joie. Et au milieu de tant d’épines, de tant de souffrances, d’un portement de croix si lourd, je sens de la joie dans mon âme, une joie qui sourit à tout ce qui vient des mains du Seigneur. Je peux me plaindre, je peux pleurer des yeux du corps, mais ceux de mon âme sont joyeux, disposés à recevoir tout le martyre que le Ciel m’enverra. Je n’aurai pas assez de l’Éternité pour remercier tout cela à Notre Seigneur ».

Toujours la même année, le 13 septembre 1948, on relève un passage magnifique :

« Je sens mon corps comme entouré de bandelettes ; je sens que tous mes os se disloquent. Mais, voila ma seule joie : souffrir pour Jésus. Peu m’importe que de mon vivant, si cela plaît à la divine Volonté, que tout mon corps se décompose. Ce que je veux c’est l’aimer, Lui, et Lui seul. Je ne veux pas perdre un seul instant de souffrance ; je veux que chaque instant profite aux âmes, les âmes qui ont coûté tant de sang à mon bien-aimé Jésus. Il est dur de souffrir et, parfois, je laisse échapper des soupirs, mais je veux souffrir et, pour rien au monde j’échangerais la souffrance. Si mon corps souffre beaucoup, mon âme souffre encore davantage… Quelle terrible période je traverse ! Ce n’est pas moi, ce n’est pas moi qui vit, il n’y a pas de lumière, il n’en a jamais eu, je n’ai jamais souffert ni ne souffre, ni ne souffrirai ; je n’ai jamais rien donné à Jésus et je ne lui en donnerai jamais. Je ne suis qu’un néant et, ce néant m’épouvante ! Je ressens cela, mais la raison me dit le contraire. Mais le pire c’est que cet état de l’âme n’entend pas la raison. Mon obscurité ne me laisse rien voir ni comprendre ; seule ma confiance en Jésus me reste. Je veux vivre sans la moindre préoccupation, tout Lui remettre. C’est ce que je cherche à faire. Je me remets entre les bras de la Divine Providence, sans vouloir ni penser à ce que je souffre ou souffrirai ; je laisse passer la tempête incessante qui est par fois effrayante. Volonté de mon Jésus, je te veux et je t’aime ; pour rien au monde je m’en séparerai. Quelques que puissent être les souffrances, même les plus grandes de mon corps et de mon âme, je sens en mon fort intérieur une grande paix, la paix qui nous vient de Dieu. Si par moments je me sens davantage ballottée et me sens comme prête à chuter dans le désespoir, voilà que Jésus, invisiblement, me donne la main, et tout se calme ; et mon âme, au milieu de tant de douleur, jouit alors d’une grande paix.

L’abandon dans lequel je suis est presque insupportable ; il me semble être abandonnée par le Ciel et la terre. Je sens ne pas pouvoir être consolé par aucune créature de la terre, mais par celles qui me sont les plus chères. Jésus, seul Jésus ― c’est ce que je Lui ai dit souvent c’est Lui seul que je veux. Il m’a écoutée, Il accédé à ma demande. Le dire ne coûte rien, ce qui coûte c’est d’être dans l’épreuve. C’est Lui et Lui seul ; il faut que ce soit Lui. Et je ne veux rien d’autre. Si j’ai Jésus, que puis-je désiré d’autre ? Il me semble que je ne l’ai pas, que je ne Lui appartiens pas, mais la paix de mon âme me montre que ce n’est pas la réalité ».

Des passages comme celui-ci abondent dans les lettres des dernières années d’Alexandrina et mettent davantage en évidence la sérénité avec laquelle elle cherchait à vivre le vœu qu’elle avait fait plusieurs années auparavant : chercher à faire toujours le plus parfait. En aucune circonstance il est plus difficile de mener à bien ce vœu que pendant les souffrances et, c’est là qu’elle se montre experte.

Encore la même année, le 22 décembre 1948 :

« … je ne sais pas comment je chemine dans mon calvaire douloureux, alors que je n’ai aucune vie. Dans le ressentir de mon âme rien n’existe que l’on puisse appeler vie, lumière, consolation ou joie ; tout est mort, mais une mort qui ressent la douleur, douleur poignante, douleur très variée. Et Jésus, quand Il me parle, répète si souvent : Offre-Moi de la douleur, ma fille, toujours et encore davantage de douleur. Jésus me le demande et moi, je veux Lui en donner, mais je ne Lui donne rien ! Je suis toujours avide, nuit et jour, de davantage de souffrances, je ne m’en lasse pas, mais, je ne Lui donne rien ! Et pourtant, j’ai soif de me donner, me donner, m’abandonner à Lui, de me perdre en Lui. J’aimerais ne rien savoir faire d’autre que d’aimer mon Jésus. Mais, c’est Jésus Eucharistique, c’est Jésus Crucifié, c’est le Cœur de Jésus, en somme : c’est le Père, le Fils et le Saint Esprit, en y ajoutant la Petite Maman chérie. Oh ! Combien je veux les aimer et vivre dans cette union inséparable, ne rien savoir du monde, ne m’attacher à rien, à aucune créature. Jésus accède à ma demande ; j’aime ceux qui me sont chers, mais je n’aime personne. Jésus, Jésus seul !... »

Presque une année plus tard, nous trouvons ces lignes qui son d’une éloquence inimitable :

« Il est impossible de décrire le martyre de mon âme. Je peux dire que sans la grâce et la force de la Petite Maman, il y aurait motif pour désespérer. Je me sens seule, complètement seule, abandonné de tout et de tous, mais le pire c’est de vivre encore dans le monde n’ayant aucune vie. Toutes les souffrances, paroles et actions meurent en moi avant même qu’elles n’existent. Il me semble ne pas vivre ni pour le monde ni pour Jésus. Tout est mort, aussi bien dans le Ciel que dans le monde et en dehors de celui-ci. Mon ignorance est si grande que tout s’est obscurci et s’obscurcit ; on dirait que je n’ai jamais compris ne comprends ni comprendrai. Je ne sais le dire : on dirait que je ne suis jamais sortie de mon néant, que je n’ai jamais vécu ni vivrai.

Quand j’ai besoin de me faire comprendre, de dire ces sentiments de mon âme, je ressens que je ne dis rien dans mon fort intérieur, mon cœur et mon âme semblent pleurer et crier : quelle douleur, quelle agonie !

Je ne peux supporter tant de douleur, sachant et sentant ce que Jésus souffre. Je voudrais des mondes et des mondes remplis de corps afin de donner la vie pour Jésus, pour lui donner des âmes et Lui prouver mon amour. Je ne sais pas dire ce que j’aimerais dire : j’aimerais voir le monde entier embrasé par l’amour de tous les cœurs, afin que Jésus fut aimé et réparé… »

Au milieu de tant de douleurs et de tant de ténèbres, Alexandrina a eu, vers la fin de l’année 1949, ou peut-être au début janvier 1950 une joie passagère. Elle en parle dans une lettre du 9 janvier 1950 :

« De Rome, par l’intermédiaire du Père Humberto, j’ai reçu j’ai reçu une carte avec la photo du Saint-Père, les bras ouverts et les yeux levés vers le ciel. La carte disait ceci : “J’ai été reçu par le Saint-Père et lui ai demandé une bénédiction spéciale pour vous, et lui ai raconté un peu votre vie. Et lui, ouvrant affectueusement les bras et priant, a dit, — oui, oui. Non pas une bénédiction, mais toutes les bénédictions pour cette fille tant aimée ! — Et il dit encore : — et pour tous ceux qui l’entourent”.

Cela m’a procuré une grande joie. Je l’aime beaucoup ».

Les lettres deviennent plus rares, parce que ni les souffrances ni la multitude des gens qui, en ces dernières années la fréquentent constamment, parfois des milliers par jours, ne lui permettent pas d’écrire. Mais, la teneur est toujours la même, dans toutes celles qu’elle a écrites jusqu’à sa mort : souffrances physiques et surtout mystiques, de plus en plus atroces, toujours aussi incompréhensibles, et en même temps, de plus en plus de générosité pour tout accepter venant des mains du Seigneur, pour Le consoler et Lui sauver des âmes.

Nous terminerons par ces mots de sa dernière lettre datée du 29 juillet 1955 :

« Les maux de mon corps et de mon âme sont tels qu’ils m’empêchent, presque toujours, d’accomplir mes devoirs. Je veux, mais je ne le peux point. Parfois, je ne suis ni du ciel ni de la terre, ni vivante ni morte ; je suis un être inutile. C’est miracle si dans cet état de mon corps et de mon âme, dans cette vie sans vie, sans Dieu et sans Éternité, je ne désespère pas. Que mon âme reste en paix, dans cette lute constante, est une grâce que jamais je n’arriverai pas à remercie assez le Seigneur. L’Éternité elle-même ne serait pas suffisante… »


[1] Allusion aux extases de la Passion vécue par Alexandrina.

[2] Et plus près de nous, Marthe Robin, française, qui semble être restée sans aucun aliment pendant 48 ans. Note du traducteur.