PRO CAUSA DE BEATIFICAÇÃO - PRO CAUSE DE BÉATIFICATION

Le Père Pinho et Alexandrina
II

DEUXIÈME PARTIE

Alexandrina raconte sa "passion" – La "petite" Thérèse – Les gens parlent... – Malaise chez les Jésuites – Le Portugal épargné – Le prêtre de Lisbonne – Le Père Pinho éloigné – Départ pour le Brésil – Les lettres du Père Pinho – NOTES – PREMIÈRE PARTIE

*****  *****  *****

Alexandrina raconte sa "passion"

Jésus avait donc demandé à Alexandrina d’accepter de vivre sa Passion toute entière, sauf le “Consumatum est”. Il lui avait dit, pour mieux lui faire comprendre le besoin qu’Il voulait avoir d’elle pour cette mission particulière :

« — De la même manière qu’avant que je ne vienne dans le monde, des victimes étaient immolées dans le temple, ainsi aujourd’hui je veux immoler ton corps comme victime. Donne-moi ton sang pour les péchés du monde. Aide-moi dans le rachat. Sans moi tu ne peux rien ; avec moi tu peux tout, pour aider les pécheurs et pour bien d’autres choses ».[1]

« Jésus m’a dit — raconte-t-elle à son Père spirituel — que de la même manière qu’il est fidèle à demeurer en moi pour me consoler, que moi aussi je devais être fidèle (…), pour le consoler et l’aimer ; que je devais lui donner mon corps pour être victime ; que des milliers de victimes ne seraient pas de trop pour réparer tant de péchés et les crimes du monde... »

Alexandrina ne refusera pas cette mission et elle s’offrira même d’une façon toute particulière :

Un dimanche après-midi, le 14 octobre 1934, alors que les siens étaient partis à l’église, elle prit une épingle, se perça la chaire et avec le sang qui coulait, elle écrivit sur une image pieuse cette offrande qui prouve sa décision irrévocable de se donner toute à son Époux :

« — Avec mon sang, je vous jure de beaucoup vous aimer, mon Jésus. Que mon amour soit tel, que je meure enlacée à la croix. Je vous aime et je meurs d’amour pour vous, mon cher Jésus. Je veux habiter dans vos tabernacles ».

Son cœur devient de plus en plus sensible à la Passion du Seigneur. Le savoir si offensé par les pécheurs est pour elle un martyr presque insupportable. Écoutons-la :

« Quand je contemple Jésus crucifié et le vois si maltraité, alors mon chagrin redouble et mon cœur se remplit de douleur et de tristesse, me souvenant qu’à chaque instant il est si horriblement crucifié... J’en souffre beaucoup. Parfois, mon corps n’en peut plus résister et je crois mourir »[2].

L’invitation au crucifiement va prendre forme et, le jour est même fixé par le Seigneur, comme elle l’explique dans une lettre à son Directeur spirituel :

« Au matin du 2 octobre 1938, Jésus m’a dit que je devrais souffrir toute sa sainte Passion, du Jardin des Oliviers au Calvaire, sans aller jusqu’au “Consummatum est”. Je devrais la souffrir le 3 et ensuite tous les vendredis de 12 heures à 15 heures, mais que pour la première fois Il resterait avec moi jusqu’à 18 heures pour me confier ses lamentations.

Je ne me suis pas refusée ».

Puis, dans son Journal elle ajoute encore :

« J’ai informé mon directeur de tout ce que Jésus m’avait dit.

J’attendais le jour et l’heure, très affligée, car ni moi ni mon directeur, nous n’avions aucune idée de ce qui allait arriver.

Pendant la nuit du 2 au 3 octobre, si l'angoisse de mon âme a été grande, non moins grande a été aussi la souffrance de mon corps. J'ai commencé à vomir du sang et de bien douloureuses angoisses m'ont envahie. Cela s'est répété pendant encore un certain nombre de jours ; je ne pouvais prendre le moindre aliment. C'est ainsi, qu'au plus fort de mes souffrances je suis entrée dans ma première crucifixion. Quelle horreur je ressentais en moi !... Quelle indicible affliction !... »

Puis, le moment venu, Jésus vint la prévenir :

« Midi sonné — écrit-elle dans son Journal —, Jésus est venu m’inviter :

Voilà, ma fille, Le Jardin des Oliviers est prêt, ainsi que le Calvaire. Acceptes-tu ?

J’ai sentis que Jésus, pour quelque temps, m’accompagna sur le chemin du Calvaire. Ensuite, je me suis sentie seule. Je le voyais là haut, grandeur nature, cloué sur la Croix.

J’ai cheminé sans le perdre de vue : je devais arriver près de Lui.

J’ai vu deux fois sainte Thérèse : la première fois à la porte du Carmel, dans sa tenue, entre deux autres sœurs, puis entourée de roses et recouverte d’un manteau céleste ».

La "petite" Thérèse

Le 3 octobre est, en effet, le jour de la fête liturgique de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, sainte pour laquelle Alexandrina avait une très grande dévotion et qu’elle considérait comme sa sœur spirituelle.

« Ce fut ainsi qu'Alexandrina — nous explique le Père Umberto Pasquale, son deuxième Directeur spirituel — commença à souffrir la passion de Jésus. Au cours de ces manifestations elle demeurait en extase, tout le long des trois heures et demie que cela durait : elle ne souffrait que ce qui se renouvelait dans son âme et dans son corps de la Passion du Sauveur.

Les souffrances de Jésus agonisant se reproduisaient en elle une à une : depuis le Jardin des Oliviers jusqu'au dernier soupir sur la croix.

Le mystérieux martyre se manifestait extérieurement, depuis midi jusqu'à quinze heures.

Chose admirable : pendant qu'elle était en extase, elle obéissait encore et toujours à son directeur ou à tout autre personne mandatée par lui. Elle obéissait non seulement aux ordres explicites, donnés de vive voix, mais aussi lorsque ceux-ci étaient donnés uniquement par la pensée »[3].

Après les tourments de la première passion, Alexandrina sentit le besoin d’exprimer ses sentiments de reconnaissance au Seigneur. Elle a écrit elle-même, ce soir-là, sur une image cette pensée : “Jésus m’a conduite du Jardin des Oliviers au Calvaire. Quel grand bonheur ! Maintenant je peux dire : je suis crucifiée avec le Christ”.

Le Père Pinho qui comme Alexandrina « n’avait aucune idée de ce qui allait arriver » raconte encore :

« Jusqu’à cette date, la vie extraordinaire d’Alexandrina n’était connue que de sa sœur Deolinda, et de son amie Çãozinha à qui elle dictait aussi quelques lettres pour son Directeur. Sa mère, même, n’était pas dans le secret »[4].

En effet, Ana Maria, la mère d’Alexandrina, travaillait dur pour « gagner le pain quotidien » pour elle et pour ses filles, et il est donc normal, que n’étant pas mise au courant des états particuliers de sa plus jeune fille, elle l’ignore complètement, même si, comme le dit encore le Père Pinho, « elle a été témoin oculaire des attaques diaboliques et de quelques-uns des transport d’amour divin qui soulevaient sa fille au-dessus du lit »[5].

Mais, « à partir du 3 octobre, Dieu voulut la faire connaître davantage : les événements qui eurent lieu ce jour-là se passèrent devant plusieurs témoins. Tous les vendredis suivants, jusqu’au 24 mars 1942, il en fut de même »[6], précise encore le Père Pinho.

Le saint Directeur spirituel d’Alexandrina, sera dès lors un spectateur assidu et attentif chaque vendredi et, il saura s’entourer de spécialistes sérieux qui étudieront à fond toutes les étapes de cette « passion vécue » et qui donneront, le moment venu leur avis compétent.

« Tous ceux qui étaient témoins de ces extases — explique le Père Umberto Pasquale —, retenaient leur souffle et se sentaient transis par l'émotion. Dans le silence le plus profond, ils essuyaient leurs yeux remplis de larmes : ils avaient tous la nette impression d'assister à la passion et à la mort de Jésus.

Les contusions causées par les chutes sous la croix et les marques visibles sur plusieurs endroits du corps, produites par les supplices, disparaissaient après l'extase, en peu de temps. Alexandrina, disposée à tout endurer, demanda au Seigneur de ne pas lui laisser des stigmates visibles, ni aucun signe extérieur, témoin de ses souffrances mystiques »[7].

Les gens parlent...

Mais cette nouvelle situation, maintenant « sur la place publique », va déchaîner les passions et, pour taire toutes les rumeurs, le Père Pinho crut qu’une enquête serait des plus utiles ; il s’en chargea, mais le résultat ne fut certainement pas celui qu’il espérait.

Écoutons ce qu’en dit Alexandrina :

« En même temps que les grâces divines augmentaient, augmentaient aussi les doutes et la peur de me tromper et de tromper mon directeur spirituel et ma famille. Mon martyre augmentait, lui aussi, de plus en plus : il me semblait que tout était faux et inventé par moi. Mon Dieu, quel coup pour mon cœur ! Les ténèbres m’enveloppaient: je n’avais personne pour me montrer le chemin. Mon directeur faisait pourtant bien des efforts pour me redonner confiance, mais rien n'y réussissait ».[8]

Pour mieux comprendre cette phase importante de la vie d’Alexandrina, il est nécessaire de lire “Le Château intérieur”, sixième mansion, de sainte Thérèse d’Avila. Mais, laissons la parole à Alexandrina qui poursuit l’explication de ses sentiments et du résultat de l’enquête :

« Malgré cela, je me faisais violence pour m’abandonner dans les bras de Jésus, afin de ne pas être prise dans le tourbillon ! Je souffrais beaucoup à cause des larmes de ceux qui m’entouraient et, je pensais : — Mon Dieu, si le courage leur manque, comment n’en manquerai-je pas ?

Quelle humiliation je ressentais d’être observée par d’autres ! O, si seulement je pouvais souffrir seule et que ce fut Jésus le seul à savoir combien je souffrais pour Lui !

Aussitôt après la crucifixion, les examens des théologiens ont commencé. Quelle honte j’ai éprouvé, non pas pendant la Passion, mais avant et après.

J’ai commencé à comprendre que mon directeur spirituel souffrait beaucoup, intimement, à cause de moi, c’est-à-dire, en voyant tout ce qui arrivait.

Les examens des théologiens ont été suivis par ceux, très douloureux, des médecins, lesquels laissaient mon corps en piteux état. J’avais l’impression de comparaître devant un tribunal, comme si j’avais commis les plus grands crimes »[9].

Il faut dire ici que l’avis unanime des prêtres était celui-ci :

« Que l’on fasse appel aux médecins », car, en effet, les mouvements accomplis par Alexandrina, lors de la Passion, les laissaient dubitatifs, quand on sait que la servante de Dieu était devenue paralysée et ne pouvait donc pas se mouvoir. Pendant la Passion, elle faisait tous les mouvements — et sans l’aide de personne ! — relatifs aux  divers moments de la Passion du Seigneur : agonie, tribunaux, chutes lors du chemin de Croix, etc. C’est pour cela que l’on fit appel aux médecins spécialistes, afin que leur avis une fois obtenu, pensait-on, mette fin à ce que d’aucuns appelaient déjà une « grosse supercherie ».

Alexandrina écrit encore :

« Combien il m’était pénible de les voir entrer dans ma chambre, m’examiner et ensuite se réunir dans une salle pour discuter sur mon cas, me laissant sous le poids de la plus grande humiliation !

Pas même le plus grand criminel n’aurait pas été jugé par un tribunal avec autant de soin.

Si je pouvais ouvrir mon âme afin que l’on puisse voir ce qui se passait en elle et ce que j’ai vécu quotidiennement — car je revis ces jours ! — je le ferais pour le bien des âmes, en dévoilant combien je souffrais pour l’amour de Jésus et pour elles. Ce n’est que pour cela que je me suis soumise à de telles souffrances.

Quand mon directeur m’a proposé ces examens, ce fut pour moi un grand déchirement ; une forte répulsion a jailli en moi ; mais l’obéissance l’ordonnais : je me suis réprimée et je les ai acceptés pour Jésus.

Il ne manquait plus que des médecins pour compléter mon calvaire !

Quelques-uns ont été pour moi de vrais bourreaux placés sur ma route.

Ceux-ci, après leurs consultations, ont décidé de m’envoyer à Porto. Ce fut très difficile pour moi de m’y soumettre. Je craignais le voyage, étant donné mon état de santé ».

Malaise chez les Jésuites

L’implication du Jésuite dans cette « aventure mystique » indisposa quelque peu ses collègues, et les supérieurs du Père Mariano Pinho, crurent à l’hystérie et peut-être aussi à la mystification de la part d’Alexandrina : de là les souffrances du Père Mariano Pinho.

Le médecin traitant d’Alexandrina, en accord avec le Père Mariano Pinho, décida de l’envoyer à Porto où le plus grand spécialiste de l’époque pour les maladies nerveuses, donnait des consultations.

Ce fut pour Alexandrina un très grand sacrifice, mais, par obéissance, elle accepta cette épreuve supplémentaire et se soumis à la décision sage et pertinente de son Père spirituel.

Alexandrina s’en souvient fort bien ; elle raconte dans son Journal :

« Quand mon médecin traitant ― le docteur João Alves , m’a fait connaître leur décision, je lui ai répondu :

— Vous même, en 1928, vous ne m’avez pas autorisé à aller à Fatima, et maintenant, alors que je suis bien plus souffrante, vous voulez m’envoyer à Porto ?

— C’est vrai que je ne l’ai pas voulu, mais maintenant je le veux.

Je lui ai demandé si mon Père spirituel était au courant de cette décision. M’ayant répondu par l’affirmative, j’ai cédé à sa requête.

Le 6 décembre 1938, vers onze heures, j'ai été transportée de mon lit à l’ambulance.

Dans la matinée, plusieurs personnes amies sont venues me rendre visite ; presque toutes ont pleuré. En ce qui me concerne, j’avais cherché à toutes les égayer, faisant semblant de ne rien souffrir.

Le voyage fut douloureux. Il nous a pris presque trois heures et demie, car nous devions faire plusieurs pauses, à cause de mon état de santé ».

Puis, en 1938, ce fut le tour du Saint-Siège à faire son enquête.

Plusieurs fois, Jésus avait demandé qu’Alexandrina, puis, son Directeur spirituel, le Père Pinho, écrivent au Pape pour demander la Consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie ; Cela avait été fait, mais les choses traînaient, car le Siège Romain avait, lui aussi besoin de s’assurer de la véracité des faits.

En 1939, Jésus avait même menacé :

« — Le monde est suspendu à un fil très fin... Ou le Pape se décide à le consacrer ou le monde sera puni !... »[10]

Nous étions alors au bord du précipice : la deuxième guerre mondiale allait bientôt commencer.

Pour donner suite aux lettre reçues, le Saint-Siège envoya chez la Bienheureuse fille un émissaire, en la personne du chanoine Manuel Pereira Vilar, qui se montra très attentif et plein de sollicitude envers Alexandrina.

Dès son retour à Rome, il fit son rapport, mais les choses ont encore prit du temps, car ce ne fut qu’en pleine guerre, en 1942, que cet acte fut mis à exécution par le Pape Pie XII.

Le temps passe, mais les souffrances augmente. Alexandrine les accepte, mais se plaint tout de même à son Père spirituel, auquel elle a pris le parti de tout raconter dans les moindres détails, particulièrement lorsque l’Eucharistie lui manque.

Voici l’extrait d’une lettre qu’elle envoya au Père Pinho le 17 février 1940 :

« Mon Père, combien douloureuse est ma souffrance et lourde ma croix ! Je me sens épuisée. Oh, le vide que je sens par le manque de l’aliment eucharistique ! Quelle nostalgie. On dirait que mon cœur explose. Je ne sais pas comment tant d’âmes peuvent vivre des années, voire la vie entière, sans recevoir Jésus ! Malheureux, car ils ne le connaissent pas ».

Mais son envie de souffrir pour faire plaisir au Seigneur et pour Lui sauver des âmes est bien plus fort, est bien plus présent dans son âme. Alors elle chante la douleur, elle en fait sa compagne et sa raison de vivre :

« O douleur, douleur bénie !
O croix, ô lit sacré,
je veux que tu sois ma tombe,
d’où je ne puisse plus sortir !
Tu es, ô croix bénie,
l’immense trésor dont Jésus m’a enrichie !
Je te veux, je t’embrasse,
je veux être clouée à toi,
et être entourée d’épines !
C’est pour Jésus que je veux être blessée
et avec Lui, sur l’autel, être immolée !
Heureuse fortune — celle de la croix —
qui m’attend sur la terre ;
elle me fera éternellement bienheureuse au ciel !...
[11]

Bienheureuse elle le sera, en effet, et de façon officielle, depuis le 25 avril 2004.

Cette période est aussi celle de la grande nuit de l’esprit : Alexandrina se sent abandonné et elle en souffre. Le 6 mai 1940, écrivant au Père Pinho, elle raconte son état :

« L’abandon dans lequel Jésus laisse mon âme, la manière dont Il descend dans mon cœur [dans la Communion], sans lumière ni flamme, sans me donner ni recevoir de l’amour, comme s’il y venait mort et que moi-même je sois morte, m’oblige presque à penser que j’ai une vie d’illusion et d’imposture.

Mais je dois croire que Jésus vit et règne en moi, qu’Il m’aime et ne m’abandonne pas, que je suis à Lui et que je ne vis que pour Lui. Ma vie a servi à Jésus... »

Deux jours plus tard, le 8 mai 1940, de nouveau elle écrit à son Directeur spirituel, pour lui raconter de quelle manière la Mère de Dieu est venue la soutenir :

« — Ma fille, ma fille, viens sur mon Cœur. Je t'invite à te reposer entre mes bras très saints. Abandonne-toi sur mon Cœur de mère. Tu es la préférée de Marie. Oh ! Combien tu es aimée par nos deux Cœurs !

Je me suis sentie entre les bras de la Maman, enlacée, caressée et couverte de tendresse.

Il n'est pas possible de comparer la douceur et la tendresse d'une mère de la terre avec celle de la Maman du ciel !...

Mon âme a été réconfortée: mon cœur en resta heureux pendant un peu près une heure ».

Le Portugal épargné

Mais, la guerre fait rage et, de plus en plus des voix se lèvent pour affirmer que le Portugal, allié de toujours de l’Angleterre, sera obligé d’y participer. Mais, c’est sans compter sur la protection divine, c’est s’avancer dans des hypothèses dont Dieu seul connaît la suite et la fin. Alors Alexandrina prie pour que son pays soit épargné et, la réponse lui vient sous la forme d’une affirmation catégorique, mais aussi comme une menace :

« Après une courte prière et l’offrande de moi-même ― écrit-elle dans son Journal, le 4 juillet 1940, avec d’autres victimes, en union avec la Maman du Ciel, pour obtenir que le Portugal soit libéré du terrible mal de la guerre, j’ai été, tout à coup, écoutée ; Jésus a bien voulu me répondre de suite :

Demandez et vous recevrez. Demandez avec confiance. Le Portugal sera épargné. Mais, malheur à lui s’il ne correspond pas à une aussi grande grâce ! Aie confiance ; c’est Jésus qui te le dit, et il ne trompe jamais ».

« Avec d’autres victimes » a-t-elle écrit…

En effet, à cette même époque, d’autres âmes-victimes portugaises, dont les causes sont actuellement en cours, priaient pour obtenir cette même grâce : que le Portugal soit épargné.

Parmi ces âmes exceptionnelles on peut citer le Père Francisco Cruz, jésuite qui connut les enfants de Fatima ; Maria da Conceição Pinto da Rocha, la fondatrice des Sœurs Missionnaires Réparatrices de la Sainte-Face ; Sílvia Cardoso, la mère Teresa Portugaise ; Teresa Saldanha, fondatrice de la Congrégation portugaise des Sœurs Dominicaines de Sainte-Catherine de Sienne ; Maria Isabel Picão, fondatrice des Sœurs Conceptionistes au Service des Pauvres, et bien d’autres, sans oublier, bien entendu, sœur Lucie de Fatima et les autres âmes priantes qui, vivant autour du Sanctuaire marial de la Cova da Iria, priaient également aux mêmes intentions. C’est le cas du Père José Aparício da Silva, qui fut Directeur spirituel de sœur Lucie ; ce fut le cas du chanoine Manuel Formigão ; ce fut le cas encore de Maria Andaluz, tous trois apôtres de Fatima et dont les causes de béatification et de canonisation sont en cours.

Puis, les choses vont se précipiter, en ce qui concerne le Père Pinho, dont les Supérieurs sont toujours aussi dubitatifs au sujet d’Alexandrina. Celle-ci le pressent et, en lui écrivant le 29 novembre 1940, elle lui dit :

« Je sens que vous souffrez. Je sens l’instrument avec lequel vous êtes blessé. Je sens clairement que cette douleur vous blessera jusqu’à la fin.

Je ne sais pas de quel côté me tourner : tout est douleur, de vives douleurs dans l’âme et dans le corps. Je le veux et je l’accepte comme Jésus le veut... »

Une nouvelle visite à Porto, pour consulter des spécialistes va être décidée. Alexandrina passera alors quarante jours enfermée dans une chambre d’hôpital, dont seul le médecin et sa secrétaire possède la clef. Ils veulent, d’une fois pour toutes démontrer que le cas de la bienheureuse fille n’est qu’une immense supercherie, montée de toutes pièces par celle-ci, par sa sœur et peut-être même avec l’aide de son Directeur spirituel qui est de plus en plus mis sur la sellette, au grand dam de ses Supérieurs.

Avant son départ, elle est réticente, mais son courage et son amour de Dieu prennent rapidement le dessus. Écoutons-la se confier au Père Mariano Pinho dans une lettre du 14 juillet 1941 :

« Je me trouve dans une nuit obscure, sans la moindre goutte de rosée. [12] Il n’y a pas de baume pour les douleurs de mon âme. Je vois de loin les coups qui blessent mon cœur. J’ai du mal à respirer sous le poids des humiliations. À l’idée des souffrances que me procurera mon voyage à Porto, je dis à moi-même :

— Je vais en jugement.

Opprimée et anéantie par cette douleur, je pense :

— C’est pour Jésus et pour les âmes !

Et alors tout mon être se transforme en une seule pensée :

— Dieu en tout et avant tout.

Je passerai toute ma vie ne pensant qu’à Dieu seul. Tout passe : Dieu seul reste. La pensée de Dieu enveloppe ciel et terre. Je m’abîme en Lui. Je peux l’aimer et penser à Lui pendant toute l’éternité. Cette pensée me soulage ; cependant c’est ainsi que j’adoucis ma douleur et que je peux sourire au tableau triste et douloureux qui se présente à moi. Je fais semblant d’avoir une grande joie de mon voyage à Porto, afin de rasséréner les miens et qu’ils ne comprennent pas la douleur qui habite mon cœur... »

Mais, Alexandrina en sortira grandie : le médecin, le docteur Gomes de Araujo, n’a rien put trouver qui prouve la thèse de la supercherie ; bien au contraire : lui qui était athée, se proposa de venir à Balasar lui rendre visite : « En octobre je viendrai vous visiter à Balasar, non plus comme médecin espion, mais comme un ami qui vous estime », lui dit-il. Et il est venu.

Le prêtre de Lisbonne

Un peu plus tard, un cas bien particulier vint s’ajouter aux souffrances de la pauvre Alexandrina : un prêtre de Lisbonne menait une vie de débauche et il fallait le sauver des flammes de l’enfer. Mais, laissons à Alexandrina le soin de nous le raconter, en reproduisant ici une partie de la lettre envoyée à son Directeur spirituel le 9 août 1941 :

« — Ma fille – lui dit Jésus un jour , il y a à Lisbonne un prêtre qui est tout près de tomber en enfer. Il m’offense très gravement. Appelle ton Père spirituel, et demande-lui l’autorisation pour que je fasse souffrir, pendant la passion, d’une façon bien plus atroce, pour ce prêtre.

C’est ce que j’ai fait.

Comme mon Père spirituel m’y a autorisée, je suis de nouveau tombée au Jardin des Oliviers, afin d’y souffrir bien atrocement. Je sentais avec quelle gravité ce prêtre offensait Notre-Seigneur. Je sentais pareillement l’indignation de Notre-Seigneur contre lui. Jésus me disait :

L’enfer ! L’enfer !...

Et j’avais l’impression que ce prêtre allait vraiment y tomber. Alors, moi, je disais :

— Non, non, mon Jésus ! Pas en enfer ! Il pèche, mais je serai sa victime; non pas uniquement lorsqu’il commet le péché, mais pendant tout le temps que vous voudrez.

Notre-Seigneur m’a dit alors :

Il trompe les gens. Tous pensent qu’il est bon, mais il m’offense beaucoup.

Et moi, je disais :

— Il trompe les gens, mais vous, il ne vous trompe pas ; oubliez, mon Jésus; ayez compassion de lui.

Jésus m’a dit son nom : c’est le Père X...

Pendant presque tout le temps qu’a duré la Passion, j’ai ressenti son péché. Et Jésus était toujours très en colère contre lui, et me disait :

En enfer ! En enfer !...

— Pas en enfer, mon Jésus ; je souffre pour lui. Immolé mon corps, mais épargnez-le des peines éternelles.

Et pendant toute la Passion je sentais la blessure qu’il produisait dans Cœur de Jésus. Quelle blessure si douloureuse ! C’était comme des épées qui, continuellement, blessaient mon pauvre cœur.

Mon corps a été horriblement mal traité, mais le prêtre n’est pas tombé en enfer; bénies souffrances ! »

Le Directeur spirituel, lut la lettre et y trouva le nom du prêtre en question. Peut-être un peu sceptique il décida de mieux s’informer.

« Pour m’en assurer — écrit le Père Mariano Pinho — j’ai écrit à une Religieuse de Lisbonne, Supérieure, ma dirigée, en qui j’avais la plus grande confiance, et je lui ai demandé de s’informer discrètement auprès de son Éminence, si celui-ci était préoccupé au sujet de l’un des prêtres de son diocèse... C’est ce qu’elle a fait et, elle reçut une réponse affirmative, et qu’il s’agissait du Père X..., indiqué par Alexandrina ».

Le moment de la séparation de son Directeur spirituel arrive. Le Seigneur, dans sa Bonté infinie, a voulut préparer son épouse à cette séparation :

« Jésus est venu – raconte Alexandrina dans une lettre adressée à son Directeur spirituel, le 3 janvier 1942 et a allumé dans mon cœur un peu de son divin feu ; il m’a donné quelques rayons de sa lumière :

Ma fille, l’heure de me donner la plus grande preuve d’amour et d’héroïsme est arrivée : cheminer sans lumière dans un complet abandon... »

Le 9 janvier 1942, elle lui écrit de nouveau et lui fait part de l’état de son âme, sans se douter, le moins du monde, que les choses allaient se précipiter :

« Mon âme semble se déchirer en morceaux. Ce n fut que le 7 janvier, jour où vous êtes venu me voir, Père, que ma souffrance, aussi bien physique que morale, a connu une pause. Il est vrai que Jésus me prive actuellement de tout, mais Il m’a donné encore quelques heures de soulagement et quelques moments de douceur et de suavité pour l’âme. Je m’en souviens avec peine et il me semble mentir, car maintenant je n’ai pas de lumière... »

Le Père Pinho éloigné

La visite dont il est fait mention ici, fut la dernière visite du Père Mariano Pinho à Alexandrina. La lettre par laquelle le provincial des jésuites ordonne au Père Mariano Pinho de cesser toute relation avec la servante de Dieu est datée du 6 janvier 1942.

Toutefois, il lui permet, encore pour quelque temps, de recevoir les lettres d’Alexandrina, mais à condition que celles-ci transitent par lui.

Par délicatesse, le Père Pinho, n’a pas voulu en informer Alexandrina immédiatement. Il chargea Deolinda de le faire auprès de sa sœur, petit à petit.

Quelques jours se passent ; le Directeur ne vient plus, alors Alexandrina se pose des questions et questionne même son père spirituel, dans une lettre qu’elle lui envoie le 26 janvier 1942 :

« Vous a-t-on interdit de venir ici ? On ne cesse pas de vous faire souffrir ? On essaie de vous humilier et de vous déprimer davantage ? Jésus soit avec nous ! Que la Maman du ciel nous vienne en aide et qu’elle nous donne la force pour supporter autant de souffrance. Que tout ceci soit pour la plus grande gloire de Jésus et un avantage pour les âmes... »

Le 30 janvier 1942, elle revient encore sur le sujet :

« Je sens que vous souffrez presque tout seul... Mon Dieu, j’ai érigé un calvaire pour mon Père spirituel qui a tant fait pour amener mon âme à Jésus.

J’en ai élevé un autre pour le docteur, qui se sacrifie tant pour mon corps. O Jésus, ô Maman du ciel, appelez-moi à vous afin que je ne sois davantage la cause de tant d’humiliations et de souffrances !... Je préférerais souffrir toute seule. Si seulement j’avais pu souffrir cette marée de souffrances et que personne n’en ait eu connaissance, excepté Jésus ! Je voudrais disparaître du monde, de sous le regard de tous et rester dans l’oubli... »

La perte de son Père spirituel est pour Alexandrina un vrai martyre. Son cœur se trouve blessé et même découragé. Cette situation la fait envisager tant de scénarios, inspirés par sa douleur habituelle, augmentée par celle de perdre l’appui dont elle avait tant besoin et qui lui était si nécessaire. Mais les voies du Seigneur restent impénétrables...

La certitude de perdre son Père spirituel est maintenant évidente. Son chagrin est alors à la mesure de son admiration envers l’homme de Dieu, mais son amour et son acceptation de la Volonté divine est encore plus grande, il prend rapidement le dessus. Lisons son Journal du 19 février 1942 :

« Les hommes essaient d’éloigner et d’arracher d’auprès de moi pour toujours celui qui m’aidait et pouvait me donner réconfort. Ils m’ont enlevé mon Père spirituel, m’interdisant enfin toute correspondance. Consentez-moi au moins, mon Jésus, de m’épancher avec Vous. Je me trouve seule au milieu de la tempête qui ne se calme pas. Je Vous ouvre mon cœur. Il n’y a que Vous qui puissiez lire tout ce qui s’y trouve écrit avec douleur et sang. Vous seul pouvez évaluer mon sacrifice. Le monde l’ignore; les hommes ne le comprennent pas.

Laissez-moi Vous dire ce que Vous avez dit à votre Père : “Pardonnez-leur car ils ne savent ce qu’ils font”. Ils sont aveugles, il leur manque votre divine lumière. Éclairez-les ; donnez votre amour à tous.

O Jésus, mes pressentiments se sont réalisés !

Pourront-ils m’interdire de Vous recevoir sacramentellement ? Pauvre de moi ! Ils me tueraient si Vous, avec votre pouvoir divin ne me conserviez pas la vie. Qu’ils disent et qu’ils fassent ce qu’ils veulent. Ils ne réussiront jamais à me priver de l’union intime avec Vous.

Me voler Jésus eucharistique ! Cela ne m’étonnerait pas qu’ils le fassent. Mas arracher de mon cœur le Trésor si riche que j’adore et que j’aime plus que toutes choses, « le Père, le Fils et le Saint-Esprit », les hommes ne le pourront jamais. Pussent-ils me faire vivre sans cœur et sans âme. Impossible !

Que vienne le monde entier avec toute sa force ; que tout s’oppose à moi : seul le péché pourrait me séparer de cette grandeur infinie, de cet amour sans fin.

Mais j’ai pleinement confiance en Vous, mon Jésus. J’attends tout de Vous, même si les sentiments de mon âme arrivent presque à me persuader que je me trompe moi-même.

Quel mal ai-je fait ? Quel crime ai-je commis ?... Mon Jésus, si ce n’était pas par amour pour Vous, si ce n’était le désir de Vous ramener des âmes, je me refuserais à tout... »

Départ pour le Brésil

Le départ du Père Pinho est maintenant consumé. Non seulement il ne reviendra plus la voir, mais il sera même obligé de partir pour le Brésil : ce fut l’exil.

Une fois encore Alexandrina lui écrit : elle se plaint de la méchanceté des hommes, de leur incompréhension, mais elle accepte tout pour l’amour de Dieu ;

Lisons sa lettre du 23 février 1942 :

« Quelques heures après ma “Passion” mon médecin m’a dit que ces derniers jours l’état de mon cœur avait davantage empiré. Il m’inculqua courage et fidélité. Je me suis épanchée à lui parce que je sens que le Seigneur se sert de lui pour m’aider à poursuivre dans les chemins épineux et difficiles. Je me suis sentie bien plus forte.

Vers les six heures du, soir on m’apporta le courrier et immédiatement j’ai découvert votre lettre. Aussitôt que je l’ai eue en main, les bras me sont tombés et mon sang s’est glacé dans mes veines. Je n’avais pas la force de l’ouvrir. Je me suis dite à moi-même : “Quoi qu’il arrive, en avant ! Mon Jésus, j’accepte tout pour amour pour Vous et pour Vous donner des âmes”.

J’ai commencé à la lire, mais les larmes m’en empêchaient : c’étaient des larmes de parfaite résignation. On dirait que l’on me perçait le cœur avec une lance. Quelques jours se sont déjà écoulés et je me sens pourtant encore dans le même état. C’est comme si je n’avais plus de cœur et que la mort me guette. Dans mon fond intérieur, je disais : “Pardon pour tous ceux qui sont la cause de cette mort.

Il est vrai que Deolinda, plus d’une fois, goutte à goutte, m’avait administré le “poison” que la lettre contenait, mais maintenant c’est arrivé au comble : la dernière goutte de ce “fiel” si désagréable.

Mes larmes et ma prière à Jésus pour obtenir le pardon pour tous : voilà ma vengeance.

Dans cette triste lettre que je n’oublierai jamais, vous me dites que cela est conforme à ce que vous supérieurs ont décidé ; que vous devez obéir parce que le Seigneur le veut.

Je suis d’accord. Obéissance, sainte obéissance, combien je t’aime ! Vous ne voulez pas désobéir et moi-même, je veux que vous obéissiez. Plutôt toutes les souffrances que la moindre offense envers Jésus. Celui qui obéi fait sa sainte Volonté, mais malheureux ceux qui ne commandent pas selon ses divins désirs! C’est pourtant qui arrive maintenant. Les hommes s’opposent à la volonté de Jésus. C’est ce que ressent mon âme remplie de douleur. Mon cœur vole comme un oiseau qui ne sait pas ou se poser; je me trouve dans le supplice le plus douloureux.

Je me suis confessée au Père Alberto Gomes [13] dans lequel j’ai entière confiance et en qui je vois toute la sainteté. Je sens qu’il me comprend bien, mais ce n’est pas lui cette lumière que Jésus m’a choisie, et non plus la source qui peut me rassasier. C’est pour cela que je dis : “Malheureux ceux qui ne commandent pas selon la volonté de Jésus !”

Je continuerai de vous appeler mon Père spirituel sur la terre comme au ciel. Quoi que les hommes disent ou fassent, cela ne sert qu’à m’écraser de plus en plus et à m’ôter la vie...

Ne vous souvenez-vous pas qu’il y a quelque temps j’avais eu le pressentiment de ce qui arrive maintenant ? On vous interdit de venir ici ! De m’écrire ! Volonté divine de mon Dieu, je t’aime plus que tout... »

Les lettres du Père Pinho

Mais, les Jésuites, voulant aller au bout de leur enquête sur le Père Mariano Pinho, demandèrent, avec insistance, à Alexandrina, de leur communiquer les lettres que lui avait écrites son Directeur spirituel. La Bienheureuse, même si un peu à contrecœur, les rendit, espérant, bien entendu, les récupérer par la suite.

Voici ce qu’elle a noté dans son journal du 27 février 1942 :

« O mon Jésus, donnez-moi votre divine force ! Je veux cacher ma douleur. Toute seule je n’y réussis pas. Que mon cœur pleure nuit et jour, si vous le voulez, mais que mon regard soit joyeux et mes lèvres souriantes. Que votre saint amour et les âmes soient le motif de ma souffrance !

Je suis comme la colombe qui, dans son envol, secoue les ailes nuit et jour, et ne trouve pas où se poser si vous ne venez pas à son secours. Les forces lui manquent, elle est incapable de poursuivre son vol: c’est moi qui navigue dans les airs, c’est moi qui suis tout près d’être anéantie par la tempête ; je suis la plus indigne de vos petites filles, sans lumière et sans soutien.

O Jésus, je ne savais pas que j’avais encore tant à vous donner ! Combien grande est mon ignorance ! Je pensais vous avoir tout donné. Je me trompais : vous êtes venu faire la dernière moisson. Prenez tout, hâtez-vous de tout prendre : moissonnez pour vous. Le vingt, je vous ai donné mon Père spirituel jusqu’au jour on l’on voudra bien me le rendre ; je vous ai donné ses lettres qui m’ont servi de lumière et acheminée ers Vous.

Vous avez bien vu, ô Jésus, combien grand a été le sacrifice ! Non point pour l’attachement à celles-ci, mais parce qu’elles m’ont été demandées lors d’une journée remplie de tant de souffrances. Quand je les ai eues en main pour les ficeler ensemble, vous, ô mon Seigneur, vous avez entendu que je me répétais : “Jésus me les a données, Jésus me les reprend.”

Et même en les rendant, je n’ai fait que répéter : “Jésus ne mérite-t-il pas encore davantage ?... Tout cela est encore bien peu pour Lui sauver des âmes...” Ce qui me peinait c’était de devoir servir  d’instrument pour faire souffrir les autres !... »

Inconsolable depuis le départ du Père Pinho qui est encore au Portugal et, de surcroît à Macieira de Cambra qui est une petite ville assez proche de Balasar où il y fut envoyé par ses supérieurs et privé d’une partie de son ministère sacerdotal – elle s’en plaint à Jésus :

« La privation de mon directeur spirituel et tous les sacrifices qui sont venus par la suite m’ont portée à la plus grande souffrance. Et maintenant, mon Jésus, le fait de le savoir aussi proche pendant que moi, comme un oiseau pendant les jours d’hiver, je reste là, affamée de ne pas pouvoir lui parler, de ne pas pouvoir recevoir de lui aliment et vie pour mon âme... il y a de quoi mourir de douleur ! »

Mais, quelques jours plus tard, le 13 mars 1942, elle note, soulagée, dans son Journal spirituel la restitution des lettres :

« Mon Jésus, les lettres de mon directeur m’ont été restituées. Pourquoi tout cela ? Le sacrifice a été fait. Ce fut comme si on les plaçait sur un cadavre qui ne ressent plus rien. Mais l’obéissance le veut et, moi je l’accepte... »

Le 31 octobre 1942 est une date très importante dans la vie de la bienheureuse Alexandrina. En effet, ce jour-là, enfin, le Pape Pie XII consacra le monde au Cœur Immaculé de Marie, dont Alexandrina avait été l’instrument docile et efficace. Le Père Mariano Pinho ― encore au Portugal à cette date ― lui envoya, un télégramme pour lui annoncer la joyeuse nouvelle.

Ce même jour, elle eut la vision de la Vierge de Fatima. Lisons le court récit qu’elle a laissé sur son Journal :

« Le 13 décembre, de bon matin — ce ne fut pas un rêve, non plus une illusion — j’ai vu la Notre-Dame de Fatima élevée —  je ne sais pas sur quoi elle posait — à une grande hauteur. Autours d’Elle, en bas, une grande foule qu’elle regardait avec tendresse. Je me suis trouvée hors de moi-même : il me semblait avoir été transportée dans une autre région ».

On peut constater ici deux états mystiques, très courantes chez les âmes que Dieu se choisit : la vision et la bilocation. Alexandrina a vu et, comme elle le dit elle-même, « ce ne fut pas un rêve, non plus une illusion », mais une réalité, complétée par le déplacement à l’endroit même où l’acte était fêtée, c’est-à-dire à Fatima : « il me semblait avoir été transportée dans une autre région », région qu’elle ne connaissait pas, car elle n’était jamais allée à Fatima, même si, bien des années auparavant, elle en a eu le désir, au début de sa maladie.

Alexandrina avait bien du mal, en tout cas, à oublier son Père spirituel, à accepter son départ pour le moins assez bizarre et impromptu. Elle ne désarme pas et, prenant son courage à deux mains, elle va même écrire au Provincial des Jésuites, le Révérend Père Abel Guerra, grand érudit et excellent écrivain :

« Révérend Père Provincial,

Cette nuit, vers deux heures et demie, j’ai demandé à ma sœur de bouger mon corps couvert de sueur. La vie semblait me quitter, les forces me manquaient. Mon âme, toujours désireuse de s’envoler vers Dieu, était dans une douloureuse agonie. J’avais besoin de soutien : elle voulait de la lumière, cette lumière que peu de prêtres savent donner aux âmes. Toute seule avec Jésus, intérieurement, je Lui disais :

— Donnez-moi le Père spirituel, donnez-le-moi de nouveau, bien que vous l’ayez éloigné de moi, grâce à cette union qui n’est pas toute à fait, ou presque, comprise. Mais maintenant, mon Jésus, celle-ci ne suffit pas, je ne peux pas vivre ainsi.

La paix m’a envahie et l’idée de vous écrire m’est venue, pour vous demander, par l’amour de Jésus et des douleurs de Marie, de permettre au Père Mariano Pinho de venir et de reprendre la direction de mon âme, pendant le peu de jours qui me restent à vivre.

Très souvent j’ai eu l’idée de m’adresser à vous, mais aussitôt mon idée était étouffée par la crainte et par quelque chose d’autre qui ne me permettait pas de l’écrire. Mais, cette fois-ci elle a été durable et menée à bien.

Ce n’est pas moi qui l’ai choisi [comme directeur spirituel]. Il y a dix ans, j’étais seule, sans guide, et très éprouvée entre quatre murs depuis huit ans. Le Seigneur a eu pitié de moi, il me l’a choisi et me l’envoya. Ce fut alors, qu’en suivant ses saints conseils, que j’ai connu davantage le Seigneur. Depuis treize mois déjà il est interdit de venir ici. Jésus seul sait combien cela m’a coûté, aussi j’ai tout souffert par amour pour Lui. Maintenant, toutefois, j’ai besoin de quelqu’un qui me soutienne ; je ne peux plus vivre dans un martyr pareil. Si vous pouviez voir, rien que quelques instants ce que je souffre dans mon corps et dans mon âme, et combien j’ai souffert pendant cette période, je suis sûre que vous auriez pitié de moi. Ma fièvre est montée à 40° et plus ; des douleurs horribles agitent et font trembler mon corps, comme une tempête qui voudrait tout détruire.

Je me suis vengée et, ma vengeance continuera au ciel, à l’égard de ceux qui ont été la cause de ma souffrance. Savez-vous quelle sera ma vengeance ? Je prierai et je demanderai, pour eux, le pardon. J’implorerai pour eux la lumière afin qu’ils vivent de la vie intérieure de Jésus et ne soient plus des obstacles pour d’autres âmes éprises de Dieu et ayant besoin des lumières et du soutien de saints directeurs.

Êtes-vous fâché contre moi ? Ne le soyez pas ! Je sais que je suis méchante, et la créature la plus misérable, la fille la plus indigne de Jésus, mais pour cette raison même digne de compassion. Moi, sans la grâce de Dieu, je me crois capable de faire et d’être tout ce de quoi on m’accuse auprès de vous ; toutefois, avec la grâce et toute la force du Seigneur, mon innocence sera reconnue.

Permettez-moi, Révérend Père Provincial, de vous demander, une fois encore, pour l’amour de ce qui vous est le plus cher au ciel et sur la terre : permettez à mon Père spirituel de venir m’assister pendant mes derniers jours ; qu’il apporte les dernières lumières, les derniers conseils à cette pauvre qui espère aller bientôt au ciel.

Je fais confiance à Jésus et à la Maman du ciel pour que je ne sois plus un motif de honte pour votre Ordre.

Adieu, Révérend Père. Veuillez me pardonner. Je n’ai rien fait dans l’idée de vous offenser. Je ne veux offenser personne et encore moins les disciples de Jésus. Ayez l'obligeance de me pardonner. A nous revoir au ciel.[14]

Et, en guise de conclusion, voici comment le Père Fernando Leite jésuite bien connu par sa dévotion mariale et par ses livres où coule la flamme de l’Esprit Saint résume la situation et le dénouement de cette triste affaire :

« Suite à une série de calomnies et d’informations tendancieuses, le 1 octobre 1942, le Père Mariano Pinho reçut l’ordre formelle de son Supérieur de cesser toute relation avec Alexandrina, "directe ou indirecte, personnelle ou écrite".

En guise de punition il fut renvoyé dans un Séminaire mineur de la Compagnie de Jésus. Son supérieur, écrivant au Saint-Siège, s’exprima de la sorte, à son sujet : "Il souffrit, comme les saints, les pires calomnies et tribulations, sans une lamentation et sans briser sa joie spirituelle". Le Cardinal Dom Manuel Gonçalves Cerejeira à son tour témoigna, en disant de lui : "C’était un saint ! "

Afin de pouvoir exercer dorénavant son apostolat, il retourna au Brésil, où il poursuivit son activité spirituelle.

Il décéda à Recife le 11 juillet 1963 ».

Alphonse Rocha           

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NOTES

[1] Lettre du 3 janvier 1935 au Père Mariano Pinho.

[2] Lettre du 4 novembre 1935 au Père Mariano Pinho.

[3] Père Umberto Pasquale ; “Sous le Ciel de Balasar”, chap. V. Traduction A. R. (REIMS).

[4] Père Mariano Pinho ; “Victime de l’Eucharistie” ; S. Paulo – Brésil.

[5] Ibid.

[6] Ibid.

[7] Père Umberto Pasquale ; “Sous le Ciel de Balasar”, chap. V. Traduction A. R. (REIMS).

[8] Autobiographie.

[9] Ibid.

[10] Lettre du 20 janvier 1939 au Père Mariano Pinho.

[11] Lettre du 26 février 1940 au Père Mariano Pinho.

[12] Saint Jean de la Croix: “La Nuit Obscure de l’Esprit”; Chap. 16, 6.

[13] Ce fut le Père Mariano Pinho qui demanda à ce prêtre de devenir son confesseur. Il le resta jusqu’à la mort de la Bienheureuse.

[14] Lettre de 1943 au Père Provincial des Jésuites.