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Sa piété
Je pus, rapidement, vérifier qu’Alexandrina était une âme
d’oraison et de continuelle union avec Dieu.
Sur ce point, le divin Esprit Saint commença très tôt à
l’attirer à lui et à se faire son Maître.
Dans ses notes autobiographiques, elle écrit, se référant
à son jeune âge :
« J’ai aimé l’oraison dès l’âge de quatre ans. »
Un peu plus loin elle nous dit :
« À
neuf ans, quand je me levais de bonne heure pour les travaux des champs et
que je pouvais être seule, je m’extasiais à contempler la nature : l’aurore,
le lever du soleil, le chant des oiseaux, le gargouillement de l’eau me
pénétraient et me transportaient à une si profonde contemplation qu’un peu
plus j’oubliais que je vivais dans le monde. Je restais là, absorbée par
cette pensée: combien grande est la puissance de Dieu !...
Lorsque je me trouvais au bord de la mer, je
m’extasiais devant son immensité.
La nuit, en contemplant le ciel et les étoiles, je me
perdais dans l’admiration des beautés du Créateur.
Combien de fois, dans mon petit jardin, j’admirais le
ciel, j'écoutais le murmure de l’eau et je pénétrais chaque fois davantage
dans l’abîme des grandeurs divines !...
J’aimais beaucoup aller à l’église. Je m’approchais de
ma catéchiste et je récitais toutes les prières qu’elle voulait. Je ne
laissais passer un seul jour sans faire ma “Station”
méditée au Saint-Sacrement, dans l’église ou à la maison; parfois même en
chemin. Je faisais aussi ma communion spirituelle...
J’aimais beaucoup faire la méditation sur le très
Saint-Sacrement et sur la Sainte Vierge. Quand je ne pouvais pas la faire de
jour, je la faisais de nuit, à l’insu de tous, en allument une bougie que
j’avais cachée à cet effet.. »
Il n’est donc pas étonnant que quelqu’un possédant, dès
son enfance et aux aurores de sa jeunesse un aussi grand esprit d’oraison,
atteigne, progressivement, le sommet. Ceci mérite une étude beaucoup plus
approfondie que nous ne ferons pas ici. La documentation qui la permettra et
volumineuse et édifiante.
Dans une lettre du 26 décembre 1935, à propos de
l’aridité spirituelle qui l’affligeait, elle écrit :
« Je ne sais pas comment cela se fait, puisque je ne me
souviens pas d’avoir passé un seul jour, dès l’âge de raison, sans penser à
Notre-Seigneur. »
Mais c’est surtout depuis qu’elle est paralysée, que son
oraison devient intense et continuelle, prenant particulièrement la forme
d’une adoration ininterrompue et amoureuse envers le Saint-Sacrement.
Nous ne résistons pas à transcrire, de ses notes
autobiographiques, ce qui suit, et où la simplicité ravissante alliée à une
profonde simplicité démontre que ces lignes ne pouvaient être écrites que
par quelqu’un qui les vécut :
« Chaque matin je commençais mes prières par le signe
de Croix, ensuite, je m’unissais à Jésus au très Saint-Sacrement et je
faisais ma Communion spirituelle, ajoutant cette prière jaculatoire:
—
Cœur Sacré de Jésus, je vous consacre ma journée.
Je récitais cette prière jaculatoire trois fois. Et
j’ajoutais:
— O Jésus, donnez-moi votre bénédiction! Je veux être
sainte.
Ensuite je demandais la bénédiction de la très Sainte
Trinité, de Notre-Dame, de saint Joseph de tous anges, saints et saintes du
ciel, en disant:
— Avec votre bénédiction, je ne craindrai rien; je
serai sainte, comme je le désire ardemment.
Ensuite je récitais trois Gloria et j’offrais les
actions de la journée en récitant la prière: « Je
vous offre, ô mon Jésus, en union, etc. ».
Pater, Ave, Gloria. « Cœur sacré de Jésus qui nous aimez tant, faites que je
vous aime de plus en plus. » Je récitais aussi le Credo et, ensuite
j’ajoutais :
— O mon Jésus, je m’unis spirituellement, maintenant
et pour toujours, à toutes les saintes Messes qui, de jour comme de nuit,
sont célébrées sur toute l’étendue de la terre. Jésus, immolez-moi avec vous
au Père éternel pour les mêmes intentions que vous-même, vous offrez. »
Alexandrina poursuivait, montrant à quel point elle
unissait intensément ses deux dévotions les plus caractéristiques : le
Saint-Sacrement et la très Sainte Vierge.
« Me tournant ensuite vers Notre-Dame, je lui disais:
— Je vous salue, Marie, pleine de grâce!... Je vous
salue, ô pleine de grâce, ma Petite-Maman du
ciel, je veux être sainte; bénissez-moi et demandez à Jésus de me donner sa
bénédiction !
Je me consacrais à Elle de cette façon :
— Petite-Maman chérie, je
vous consacre mes yeux, mes oreilles, ma bouche, mon cœur, mon âme, ma
virginité, ma pureté, ma chasteté. Acceptez-en tout, ma chère
Petite-Maman ! vous
êtres le dépôt béni de toute notre richesse. Je vous consacre mon présent et
mon avenir, ma vie et ma mort, tout ce que l’on me donnera, toutes les
prières et les offrandes que l’on fera pour moi.
Ouvrez vos bras et enlacez-moi. Serrez-moi contre
votre Cœur très saint, couvrez-moi de votre manteau; acceptez-moi comme
votre fille très aimée et consacrez-moi toute à Jésus. Renfermez-moi pour
toujours dans son divin Cœur et aidez-le vous-même à crucifier mon corps et
mon âme: que rien, dans celui-ci ne subsiste qui ne soit crucifié.
Ma Petite-Maman,
rendez-moi humble, obéissante, pure, chaste d’âme et de corps.
Transformez-moi en amour ; consumez-moi dans les flammes de l’amour de
Jésus...
Maman chérie, demandez pardon pour moi à Jésus;
dites-lui que c’est l’enfant prodigue qui retourne à la maison de son Père,
disposée à le suivre, à l’aimer, à l’adorer, à lui obéir, à l’imiter.
Dites-lui que je ne veux plus l’offenser.
Ma Petite-Maman du ciel,
inspirez-moi une douleur si grande de mes péchés; que mon repentir soit tel,
que je devienne pure, que je devienne comme un ange, pure comme lors de mon
baptême, afin que par ma pureté, je mérite la compassion de mon Jésus; que
je puisse Le recevoir sacramentellement chaque jour et Le posséder toujours
en moi, jusqu’à mon dernier soupir.
Maman
chérie, venez avec moi dans tous les Tabernacles du monde, dans tout lieu où
Jésus habite sacramentellement. Présentez-lui mon humble oblation. O comme
Jésus sera content de l’offrande la plus pauvre, la plus misérable, la plus
indigne, mais remise par vous, combien plus de valeur n’aura-t-elle pas
auprès de votre et mon Jésus !...
Ma douce Petite-Maman, je
veux aller de Tabernacle en Tabernacle demander des grâces à Jésus, comme
l’abeille qui va de fleur en fleur pour cueillir le nectar !
Ma tendre Maman, je veux devenir comme un rocher
d’amour devant sa demeure, afin que nul ne parvienne à blesser son Cœur et
ne renouvelle ses Plaies et sa Passion.
Maman chérie, parlez à Jésus par mon cœur et par mes
lèvres ; rendez mes prières plus ferventes, mes demandes plus efficaces.
O mon Jésus, je me consacre toute à vous. Que votre
Cœur me soit grand ouvert. Permettez que je rentre dans cette Fournaise
ardente, dans ce Feu brûlant. Fermez-le sur moi, mon bon Jésus; que j’y
demeure pour y rendre mon dernier
soupir
enivrée de votre divin Amour. Ne souffrez
pas que je me sépare de vous sur la terre, sinon pour m’unir à vous,
éternellement, dans le ciel.
O mon cher Jésus, je m’unis, en esprit, à partir de ce
moment et pour toujours, à toutes les Hosties contenues dans tous les
ciboires de la terre, dans chaque lieu où vous habitez sacramentellement.
C’est là que je veux passer tous les moments de ma vie, constamment, de jour
comme de nuit, dans la joie ou la tristesse, seule ou accompagnée, à vous
consoler, à vous adorer, à vous aimer, à vous louer, à vous glorifier.
O mon Jésus, j’aimerais faire tomber, continuellement,
sur vous, de jour comme de nuit, autant d’actes d’amour que de gouttes de
pluie fine tombent sur la terre. Je voudrais que toutes les créatures de la
terre en fissent de même, afin que vous soyez aimé de tous. Écoutez ces vœux
de mon cœur et acceptez-les comme si déjà je vous aimais.
O Jésus, je voudrais qu’il n’y eût pas un seul
Tabernacle dans le monde, en tout lieu où vous habitez au Saint-Sacrement,
où je ne fus à vous redire, sans cesse, à chaque instant de ma vie: Jésus,
je vous aime; Jésus, je suis toute à vous. Je suis votre victime, la victime
de l’Eucharistie,
la petite lampe de vos prisons d’amour, la sentinelle de vos Tabernacles !
O Jésus, je veux être victime pour les prêtres,
victime pour les pécheurs, victime de votre amour, de ma famille, de votre
sainte Passion, des Douleurs de la Petite-Maman,
de votre Cœur, de votre sainte Volonté; victime du monde entier! Victime
pour la paix, victime pour la consécration du monde à la Maman chérie...
O Jésus, maintenant, je vais inviter la Maman bénie.
C’est elle qui va vous parler pour moi et je reprendrai ensuite.
Je vous salue, Marie, pleine de grâce! Je vous salue,
ô pleine de grâce! Ma Petite-Maman, venez avec
moi dans tous les Tabernacles. Venez couvrir Jésus d’amour. Offrez-lui tout
ce qui se passera en moi, tout ce que je lui offre habituellement, tout ce
que l’on peut imaginer comme autant d’actes d’amour à Notre-Seigneur au très
Saint-Sacrement !
Je disais trois fois :
— Grâces et louanges soient rendues, à tout moment, à
Jésus au très Saint-Sacrement.
Je faisais ensuite la Communion spirituelle déjà
décrite, puis je demandais à Notre-Dame de répéter, pour moi, à son Fils
Bien-Aimé :
— O Jésus, voilà la Petite-Maman
chérie, écoutez-la ; c'est Elle qui va vous parler pour moi. Et vous, Maman
chérie, emportez mes baisers, d'innombrables baisers, d'innombrables
caresses et marques de tendresse à tous les Tabernacles du monde.
Tout pour Jésus-Hostie!
Tout pour la Très Sainte Trinité, tout pour vous,
douce et tendre Maman. Multipliez mes baisers, multipliez-les et, avec une
tendresse et un amour pur et saint, avec un amour sans bornes, avec une
immense nostalgie, offrez-les de la part de celle qui ne peut pas se
déplacer jusqu'aux tabernacles.
Il y a ensuite un passage qui nous rappelle « Le chant
du soleil » de saint François d’Assise ou le
« Benedicite ».
Savourons-le :
O
Jésus, je veux que chacune de mes douleurs, chaque battement de mon cœur,
chacune de mes respirations, chaque seconde de ma vie, chaque minute, soient
autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque mouvement de mes
pieds, de mes mains, de mes lèvres, de ma langue, chacune de mes larmes,
chaque sourire, joie, tristesse, tribulation, distraction, contrariété ou
ennui, soient autant d'actes d'amour pour vos
Tabernacles.
O Jésus, je veux que chaque lettre
des prières que je récite ou entends réciter, toutes les paroles que je
prononce ou entends prononcer, que je lis ou entends lire, que j’écris ou
vois écrire, que je chante ou entends chanter, soient autant d’actes d’amour
pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque baiser que je
déposerai sur vos saintes images, celles de la votre et ma sainte Mère,
celles de vos saints et saintes, soient autant d’actes d’amour pour vos
Tabernacles.
O Jésus, je veux que chaque goutte de
pluie qui tombe du ciel sur la terre, que toute l'eau des océans et tout ce
qu'ils renferment, que toute l'eau des fleuves et des rivières, soient
autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je vous offre les feuilles de tous
les arbres, et tous les fruits que sur eux mûrissent; chaque pétale de
toutes les fleurs; toutes les graines que contient le monde; tout ce qu'il y
a dans les jardins, dans les champs, dans les vallées, sur les montagnes:
tout cela je veux vous
l'offrir comme autant d'actes d'amour pour vos tabernacles.
O Jésus, je vous offre les plumes des
oiseaux et leurs gazouillements, les poils des animaux et leurs cris, comme
autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
O Jésus, je vous offre le jour et la
nuit, la chaleur et le froid, le vent, la neige, la lune, le clair de lune,
le soleil, les étoiles du firmament, mon sommeil et mes rêves, comme autant
d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
Je veux que chaque fois que j'ouvre
ou ferme les yeux, ce soit autant d'actes d'amour pour vos Tabernacles.
O Jésus, je vous offre toutes les
grandeurs, richesses et trésors du monde, tout ce qui se passe en moi, tout
ce que j'ai l'habitude de vous offrir, comme autant d'actes d'amour pour vos
Tabernacles.
O Jésus, le ciel et la terre, l'océan
et tout ce qu'ils contiennent, je vous les offre comme s'ils m'appartenaient
et si je pouvais en disposer; acceptez-les comme autant d'actes d'amour pour
vos Tabernacles.
La piété d’Alexandrina était éminemment mariale et, tout
particulièrement eucharistique, comme nous venons de le voir.
Jésus-Hostie était toute sa vie. Aussi
souffrait-elle beaucoup chaque fois qu’elle était privée de la Communion.
« Quoique le Saint-Sacrement soit mon meilleur ami
— écrit-elle, le 8 mars 1934, dans une lettre à son Directeur
— je regrette de devoir le dire, je ne le reçois que rarement. Au début
on me portait la Sainte Communion tous les premiers vendredis, samedis et
dimanches; maintenant, il ne vient plus le dimanche.
Que dois-je faire ? Souffrir pour l’amour de mon Bien-Aimé Jésus. »
Le 27 septembre 1934, elle s’épanchait encore :
« C’est avec regret et nostalgie que je vous informe que
je n’ai plus communié. Ah, si je pouvais obtenir qu’on me portât la Sainte
Communion, en payant avec de l’argent cette faveur, combien ne donnerais-je
pas !... Mais je fais beaucoup de communions spirituelles, avec le plus de
ferveur qu’il m’est possible et Notre-Seigneur m’en récompense. Voyez comme
mon bon Jésus m’aime: il m’a dit que lui-même sera mon Directeur !... »
Et quel Directeur! Combien il l’aimait dans sa vie
eucharistique, dans son esprit de réparation !
Le mois suivant, le 4 octobre, nous pouvons lire ce
passage :
« Peu avant de dicter cette lettre, Notre-Seigneur m’a
demandé mon cœur pour le placer dans le sien, afin que je n’ai pas d’autre
amour que lui et celui de ses œuvres. Il m’a dit que toutes les âmes y ont
leur place, dans son divin Cœur, mais que j’y avais un
place de choix. Il m’a encore dit :
—
Ma fille,
n’as-tu pas compassion de moi ?...
Je suis seul et abandonné, dans mes
tabernacles, et tellement offensé! Viens me consoler, viens réparer; réparer
pour tant d’abandon...
Visiter les prisonniers dans leurs
cachots et les consoler est une œuvre de miséricorde. Moi, je suis
prisonnier et prisonnier par amour; je suis le Prisonnier des prisonniers...
Notre-Seigneur m’a dit que je suis son temple. Temples
de la très Sainte Trinité sont toutes les âmes en état de grâce, mais que
moi, par une grâce particulière, je suis un tabernacle qu’il s’est choisi
pour y habiter et s’y reposer afin de davantage rassasier la soif que j’ai
de son Sacrement d’Amour... Jésus me dit encore
qu’il se sert de moi afin que par moi beaucoup d’âmes soient stimulées à
l’aimer dans la sainte Eucharistie. »
Le 10 novembre 1934, elle fait part à son Directeur des
paroles de Jésus :
« Ne cesse pas
de prier pour les pécheurs. Je te les confie, afin que tu me les rendes.
Viens dans mes tabernacles.
Il m’a dit encore que “ou
bien je réparais et la dévotion aux tabernacles était prêchée, ou le monde
allait être puni avec beaucoup de sévérité”.
J’ai demandé à mon Jésus ce que je pouvais faire pour beaucoup l’aimer et il
m’a dit :
—
Viens dans mes tabernacles ;
viens me consoler; viens réparer. Ne cesse pas de réparer; donne-moi ton
corps pour que je le crucifie. J’ai besoin de beaucoup de victimes pour
soutenir le bras de ma justice et j’en ai si peu! Viens les remplacer...
Fais que je sois aimé de tous dans mon Sacrement d’Amour,
le plus grand de mes Sacrements et le plus grand miracle de ma divine
sagesse... »
Puis, le 20 décembre 1934, Alexandrina révèle à son
directeur spirituel les paroles qu’elle avait reçues de Jésus :
« La mission
que je t’ai confiée, ce sont les tabernacles et les pécheurs...
Par toi, beaucoup, beaucoup de pécheurs
seront sauvés; non par tes mérites, mais par les miens. Je cherche tous les
moyens pour les sauver...
Veux-tu vraiment consoler et aimer ton
Époux ? L’Époux des âmes vierges que j’aime avec
prédilection!
Viens dans mes tabernacles, reste là,
vis là, et donne-moi ton corps pour que je le crucifie, afin de satisfaire à
mes desseins. Sois ma victime de réparation pour les pécheurs du monde
entier; c’est ainsi que tu me consoleras beaucoup... »
En écrivant sa lettre du 6 juin 1935, Alexandrina
tressaillait de joie, car maintenant elle pouvait annoncer à son Directeur
qu’elle communiait tous les jours.
« Je continue d’être très malade — écrit-elle —
mais j’ai la consolation de recevoir Notre-Seigneur tous les jours. Il ne
peut s’agir que d’un miracle, car Monsieur l’Abbé
n’a jamais agit de la sorte. »
Trois jours plus tard, Notre-Seigneur lui disait :
« —
Ce seront
les victimes des tabernacles qui arrêteront le bras de la justice divine,
afin que de plus graves châtiments n’adviennent !... »
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